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mercredi 30 mars 2011

la couche

Scène de la vie ordinaire chez M. et Mme Dupont.

Ils ont 50 et 48 ans, viennent du nord de la France et on ne sait trop comment ils ont échoué dans ces montagnes.
Ils ont eu 3 enfants qui ont maintenant autour de 25 à 30 ans. Le premier, schizophrène, est en appartement thérapeutique. Le second vit à la ville, a déjà fait 3 enfants avec 3 compagnes différentes. Malheureusement (ou heureusement pour les enfants) ils sont en famille d'accueil. Le troisième est un miraculé qui vit et travaille « normalement ».
Si l'on cherchait une illustration au mot « oisif », M. et Mme Dupont en seraient une parfaite.
M. Dupont a travaillé jusqu'à l'age de 30 ans environ, puis il a eu un accident de travail, une entorse du genou, et n'a jamais repris le travail. Mme D. n'a jamais travaillé. Ils vivent d'aides sociales diverses, en toute simplicité : RSA ; pension adulte handicapé, pension d'invalidité, allocation au logement, aide de la mairie pour la nourriture, le chauffage, les déplacement en ville... et j'en passe.
Grâce à cette assistance, ils peuvent s 'adonner tous les deux à un alcoolisme de compétition et à un tabagisme massif, loisirs qui ont finit par porter leurs fruits puisque monsieur D. souffre d'une bronchite chronique carabinée ainsi que d'une polynévrite et une cérébellite alcoolique (en clair pour les non médecins, cela signifie que ses poumons sont en train de s'obstruer gravement, grâce à la cigarette et que son système nerveux est en train d'être « dissout » par l'alcool).
Quant à Mme D., elle souffre d'une hémiplégie secondaire à un accident vasculaire cérébral survenu il y a 10 ans et probablement largement favorisé par son tabagisme. Elle avait récupéré une autonomie suffisante pour marcher, mais a rapidement laissé tomber et ne veut plus quitter son fauteuil roulant. Par ailleurs, l'alcool a également eu des effets délétères sévères sur son cerveau. Elle est totalement « à l'ouest » et les neurologues confirment qu'il ne s'agit pas d'un Alzheimer précoce mais d'un syndrome de Korsakoff ( l'alcool vous dis-je!) ou d'une démence vasculaire. (le tabac!).

L'aide ménagère vient chaque chaque jour et fait les taches de la maison, l'infirmière vient pour la toilette, le kiné pour les rééducation de M. et de Mme. Et moi même, je passe une fois par semaine pour surveiller leurs différentes maladies et surtout pour vérifier qu'il n'y ait pas trop de violences conjugales, car lors de ses alcoolisations, M. D. a une fâcheuse tendance a laisser s'exprimer un caractère un peu ...ombrageux.

Tout cela laisse une terrible impression de gâchis. Dans quelle mesure, ne sommes nous pas collectivement responsable de leur chute, avec notre assistanat de mauvais aloi ?
N'aurait-il pas mieux valu, il y a 20 ans les inciter à reprendre un boulot en ne les assistant pas, et les aider à résoudre leurs problèmes de dépendance sans les infantiliser.
Aujourd'hui, il est trop tard et la question ne se pose plus pour eux. Ils vont mourir du tabac, de l'alcool et de notre assistanat.

Et en plus, ça nous coûte un bras cette histoire!
Chaque fois que je traverse le hall de leur HLM, je ne peut m'empêcher de penser au jeune couple que je suis depuis quelques années et qui se serre avec ses enfants, au même étage, dans un appartement beaucoup plus petit. Ils travaillent dur, payent pour le modeste salaire de la jeune femme et pour l'activité d'artisan de son mari de lourdes charges sociales. Ils m'ont récemment confié qu'ils avaient abandonné l'idée d'être un jour propriétaire de leur logement. Trop cher ! Trop de charges !

Hors donc, voici la saynète qui me fut présenté ce lundi matin à 9 h:

Les personnages :
- M. Dupont : 50 ans, 1m80, 45 kg, gros nez rouge – barbe de 8 jours, survêtement aux couleurs du club de foot de Lens. Il est vautré sur son canapé et entame la digestion de son 1er litre de Ricard.
- Mme Dupont : 48 ans, bien usée. Sourire édenté. Vieux pantalon. Pull de laine crasseux. Elle est assise dans son fauteuil roulant et regarde son mari ronfler dans le canapé.
- moi : la quarantaine rugissante. Jean, blouson. La valise à la main.

Le lieu : Le living de l'appartement familial : canapé hors d'age, table basse avec une bouteille(s) de Ricard, des verres (vides) et quelques assiettes (sales), TV écran plat 72 pouce, ordinateur, console de jeux...

Moi (posant la valise) : « Bonjour messieurs dame, ça va ce matin ? »
Mme Dupont (évasive): « Ouais »
Moi (professionnel, tentant de voir si l'orientation temporo spatiale de ma patiente s'améliore) : « Mme Dupont, pourriez-vous, s'il vous plait, me dire le nom du président de la république que nous avons en ce moment ? »
Mme D. (après une longue recherche, et tentant un pari quasi Pascalien):  « ...Giscard ? »
Moi : « Euh non, pas tout à fait, mais c'est pas grave... Votre tension est à 13/7 »

Mme D. fait un tour sur elle même dans son fauteuil roulant, puis elle se tourne vers moi et sourit de toutes ses (absences de) dents.

Mme D. (avec un fort accent à la Dany Boon): « Hè docteur, Hè docteur...Pierrot, y peut pus ! »
Moi (interdit) : « Ah... »
M. Dupont (émergeant péniblement de son semi coma malgré les 3 g/l) : « Ta gueule grand-mère ! »
(Ndlr : Dans l'intimité de leur foyer, M. et Mme D. s'appellent respectivement Pierrot et grand-mère)
Moi (diplomatique) : « vous savez, les troubles de l'érection peuvent avoir de multiples origines. » puis, me tournant vers M. D. : « peut-être qu'on pourrait reparler de l'alcool et du tabac. Vous savez, je pense que la première chose à faire serait d'envisager un arrêt, ou au moins une diminution importante... »
M. D. (formel!) : « Docteur, je bois d'puis l'age d' 7 ans et c'est pas maint'nant que j'vais m'arrêter !...et puis d'abord, vous croyez qu'c'est drôle, vous, d'vivre avec 'n femme qu'a des couches? »
Mme D. (vexée) : « Hè docteur, Hè docteur, c'est même pas vrai ! »
M.D. (péremptoire) « Bin sûr qu'c'est vrai ! Elle a des couches docteur ! »
Mme D. : « C'est pas vrai. C'est pas des couches !... C'est des couches-culottes... »

Alors là, j'ai juste posé une fesse sur le canapé, faisant fi des tâches de pinard et des brûlures de cigarette, et puis au bout d'un moment j'ai juste dit :
« Ah bah oui, c'est sûr ! Si c'est des couches-culottes, ça change tout ! ...»

On en est resté là. Je n'ignorais pas les difficultés sexuelles de M. et Mme D. Je n'ai pas été jusqu'à prescrire du Viagra. Peut être ai-je eu peur qu'elle ne soit pas encore ménopausée.
Des fois, il vaut mieux en rire.

5 commentaires:

  1. Chômeurs, pédophiles, consanguins, bienvenue chez les ch'tis??
    Développons l'euthanasie et réhabilitons l'eugénisme, ainsi nous améliorerons notre bilan carbone.^^

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  2. Non. Le fait qu'ils soient originaires du nord est fortuit et n'a rien à voir avec mon propos.
    Comme tous les médecins généraliste, il m'a été donné l'occasion de voir ce genre de foyer dans chaque région de France où j'ai travaillé.
    Mais je n'accepte que pas ces de naufrages sanitaires et moraux encouragé par le système médico-social.
    Ma question est : comment éviter cela ?
    Visiblement pas en pratiquant l'"acharnement de l'assistanat"

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  3. ahahah, j'ai découvert votre blog via Twitter et c'est du très bon ces anecdotes :)

    la misère du nord s'exporte à ce que je vois, participant parfois aux gardes du SMUR de Lille je ne connais que trop bien cette population... Finalement plus queles aides sociales, je pense vraiment que c'est l'alcool le premier responsable... c'est ce que j'ai conclu de ma courte expérience de FFI à Armentières (pov' mais fiers)

    à bientôt sur votre blog :)

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  4. You are welcome.
    Sincèrement, j'ai malheureusement rencontré ce type de misère également dans le sud, avec des gens bien du sud...
    Je suis sûr que des bretons, des normands ou des auvergnats s'y retrouveraient également.
    En tant qu'addictologue j'ai tendance à penser que l'alcool est plus souvent un épiphénomène, ou disons plutôt, le symptôme d'une psychopathologie sous-jacente, psychopathologie que je pense largement confortée par le système médico-social.
    Mais c'est juste mon opinion.
    A bientôt donc.

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  5. Je vous découvre, également par twitter... Je confirme que cette misère se retrouve loin du Nord, produit de carences éducatives, familiales, financières, et de failles personnelles. L'assistanat fait prendre tout ça en masse et l'expose. Je ne sais pas si ces gens dureraient aussi longtemps dans un système moins "confortable", il y en a qui cumulent absolument tout...
    A bientôt également.
    NP

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