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mardi 24 mai 2011

Iatrogénie et soumission à l'autorité

En arrivant au centre médical, ce lundi matin, Pauline, la secrétaire me demande de contacter rapidement le centre de greffe d'organe de l’hôpital. Ils viennent d'appeler et cherchent des renseignements sur Mme S. dont ils veulent prélever les cornées.
Je suis surpris. Non pas de ne pas avoir été prévenu par le service de réanimation où elle est morte (ils ne connaissent pas le téléphone ni le fax) mais parce que je ne pensais pas qu'elle nous quitterait aussi vite.
J'ai laissé Mme S. il y a 8 jours à l’hôpital local, aux bons soins de mes collègues du bas de la vallée. 
Certes, elle était porteuse d'un cancer de la marge anale, et subissait un traitement pénible, mais elle était en pleine forme par ailleurs. Il y a 2 mois, elle allait encore aux champignons et gardait ses petits enfants.
Son histoire avait commencé il y a un an et demi par une tuméfaction de l'aine.
Malheureusement (ou heureusement pour elle, finalement), le médecin habituel de Mme S. est tombé malade, et elle en a profité pour repousser toute prise en charge médicale. 1 an plus tard, et suite à l'insistance de son fils qui est un ami et un ancien collègue de travail, elle s'est décidée à faire enlever cette masse inguinale qui était désormais de la taille d'un poing.
L'anapath. Est tombée comme un couperet : métastase d'un cancer épidermoïde.
C'est à cette occasion que Mme S. est venue me voir et que nous avons commencé des examens complémentaires. C'est finalement le PET scan qui permis de faire un diagnostic de cancer du canal anal sans aucune autre métastase visible.
Elle se sentait en pleine forme malgré ses 75 ans et ne voulais pas donner suite. Je l'ai fortement incitée à se faire opérer, puis à se faire suivre par un cancérologue.
La chirurgie a été conservatrice. On lui a proposé une radio-chimiothérapie selon le protocole habituel de ce type de cancer.
Elle était rétive. J'ai insisté.
Elle a commencé la radiothérapie et a rapidement souffert d'une diarrhée glairo-sanglante majeure et de douleurs abdominales intenses.
J'ai appelé son cancérologue pour demander un aménagement du schéma thérapeutique. Il a insisté pour le respect du protocole. J'ai cédé.
Comme elle ne pouvait plus rester seule chez elle dans son état, je l'ai fait admettre à l’hôpital local où tout le personnel et mes collègues l'ont pris en charge avec compétence et dévouement.
Elle se sentait bien en milieu connu et connaissait la plupart des employés du centre.
Je suis allé la voir. La dernière fois, c'était il y a 8 jours. Elle souffrait de mucite et de coliques mais s'accrochait.
Elle m'a demandé encore si tout cela était bien nécessaire. Je lui ai répondu que je le croyais.
J'avais tort.
Elle était de plus en plus épuisée par les traitements et ne parvenait plus à s'alimenter normalement, ne se levait plus mais nous faisions confiance aux spécialistes.
Finalement, son portacath s'est bouché, puis infecté. Elle a eu de la fièvre. On s'est alors rendu compte qu'elle était en aplasie, et elle est décédée en quelques heures d'un choc septique.
Ce soir j'ai « les boules ».
« Primum non nocere » Aujourd'hui, c'est raté !
Je comprends que seuls les protocoles sont validés et qu'en sortant du protocole, on ne sais pas trop où l'on met les pieds, que notre RCP peut ne pas fonctionner lorsque l'on fait différemment...
Mais je crois qu'être médecin c'est aussi prendre le risque de sortir des protocoles lorsque l'on voit qu'ils sont inadaptés.
Après tout, elle a vécu un an avec son cancer avant qu'on le diagnostique et, mis à part la localisation inguinale, la tumeur ne montrait aucun autre signe d'une tendance à l’extension métastatique. Peut-être pouvait-on lui proposer un traitement un peu plus « light ». Une radiothérapie seule aurait peut-être suffit, même si le stade d'évolution locale était assez élevé. En tous cas, elle ne l'aurait probablement pas tué.

A posteriori, je suis également surpris de la facilité avec laquelle nous autres, généralistes avons accepté la poursuite d'un traitement aussi dur en dépit de l'épuisement visible de la patiente.
J'ai l'impression d'avoir été piégé dans une sorte d'Expérience de MILGRAM et je ne suis pas fier de ma réaction. 

Sûr que je serai moins compliant avec mes correspondants cancérologues, pour le prochain patient qui ne supportera pas sa chimiothérapie.
Je vais être le généraliste emmerdant, celui qui critique les protocoles, qui se méfie, qui discute et qui négocie les traitements.Celui qui ne veut pas faire ce qu'on lui dit de faire.
Un vrai chieur !
Et je n'aurai pas besoin de me forcer beaucoup.


« … la civilisation est caractérisée, avant tout, par la volonté de ne pas faire souffrir gratuitement nos semblables. Selon les termes de cette définition, ceux d'entre nous qui se soumettent aveuglément aux exigences de l'autorité ne peuvent prétendre au statut d'hommes civilisés. »
 Harold Laski

9 commentaires:

  1. Oh oui!, Soyez chieur. Les oncos se confrontent dix fois moins à la souffrance de leurs patients en chimio que les généralistes. Ne doutez pas une seconde de la supériorité de votre tour-observatoire. Vous connaissez vos patients et cette connaissance là, c'est l'une des données les plus précieuses pour leur prise en charge. Que cet épisode renforce votre confiance en vous plutôt que de la fragiliser...
    Pernelle/Hélène

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  2. Et en tant que patient, on aime les médecins emmerdants qui prennent le parti du malade... et le partir de ses particularités. Merci, donc.

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  3. Nous avons toujours à traîner comme un boulet notre complexe d'infériorité, celui du Generaliste qui doit de soumettre à l'avis du spécialiste.
    Il est difficile de s'en défaire. Mais des fois, à la suite d'expériences comme celle-là, on y arrive un peu.
    Bon courage,
    Jak

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  4. je focalise sur un détail : le PAC. Je me bagarre pour que l'on n'utilise pas le PAC comme solution de facilité, notamment pour l'administration de la nutrition parentérale. On ne comprends pas toujours pourquoi... Je les enverrai lire votre blog.

    Je compatis à cette situation difficile. Néanmoins j'essaye toujours de me dire que lorsque l'on propose un traitement avec l'INTENTION de bien faire, on reste dans les clous je pense. J'ai vu des patients vraiment âgé (> 80 ans) passer à travers de l'oncologie digestive lourde. On a l'impression de leur avoir rendu service. Difficile de prévoir quand ça va beurrer.

    On dérape quand la routine prend le pas et que la négligence enfonce le clou du cercueil.

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  5. Merci de vos réactions.
    C'est
    Je ne blâme pas vraiment les oncologues. Ils ont fait leur métier, sans s'embarrasser de l'inconfort du malade. L'intention était effectivement de bien faire. De même, je reconnais l'utilité du protocole. C'est un guide.
    Mais je regrette que nous (généralistes traitant et généralistes de l’hôpital local) n'ayons pas été capable de prendre sur nous pour prendre plus tôt la décision de stopper momentanément les chimio.
    Toute la difficulté est là. A partir de quand doit on dire stop et s'opposer aux décisions des spé.
    Par ailleurs, je ne sais pas si le PAC a été utilisé pour la nutrition parentérale.

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  6. Ouaip...
    j'ai eu un cas plus ou moins similaire, pas facile de décider d'arrêter une chimio ou une radiotherapie, on a pu arrêter une chimio cardiotoxique mais seulement avec une lettre "agressive" du cardiologue.(en plus il s'agit d'une femme en pleine santé qui ne se plaignait de rien, cancer du sein découvert au dépistage... elle se retrouve en Insufisance Cardiaque NYIII, obligée de prendre une retraite anticipée.
    Tenir compte de l'opinion du généraliste c'est pas gagné (enfin.. on peut essayer)

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  7. C'est triste, oui soyez le médecin chieur qui remet en cause des protocoles parfois nocifs !
    C'est vraiment triste pour cette dame, quel gâchis...

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  8. Je suis seulement infirmière,la bonniche du grand oncologue. Je lui ai dit pourtant que Monsieur ne supportera pas la chimio i/v, il avait une tachycardie important. Puis il est mort, avec la perf au bras, en pleine nuit. Pourtant avant son hospitalisation il avait une bonne qualité de vie, malgré son âge avancé. J'en ai vu mourir aussi à cause d'interactions médicamenteuses. Mais voyez-vous, tout ça ne me regarde pas. Faut juste que je fais avaler les dix-huit médicament à la vieille dame.....Barbara

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  9. Je note le non appel du service lors d'un deces.Ca me console y a pas que moi .
    Chaque fois , je gueule , rien à faire.
    Parce que
    "Bonjour M'ame Michu, alors vot'mari il en est ou ?
    - ah ben mon pov'docteur on l'a enterré avant-hier"
    C'est toujours désagréable...

    J'imagine qu'il y a une checklist/un protocole
    en cas de décès , c'ets pas dur d'ajouter une ligne "appeler med ttt" ....

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