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samedi 16 avril 2011

Grosse colère

Aujourd'hui, j'ai renoué avec mes vieux démons : Je me suis mis en colère.
Ça ne m'était pas arrivé depuis au moins trois ans et demi. En fait, depuis que j'avais quitté le centre de réhabilitation ou j'étais salarié à cette époque.
C'était au cours d'une réunion d'accréditation/certification, dans l'établissement d'enfant où j'assure un petit quart temps.
On m'a bombardé responsable de la CRUPQ et de la CLUD et je me suis donc retrouvé à siéger dans une réunion avec un certain nombre de professionnels de la clinique et deux administratifs :
Une responsable qualité, fort intelligente au demeurant, et un administratif parisien censé représenter les usagers.
C'était une réunion très importante. Pensez donc, on était au 15 avril et encore aucune réunion n'avait encore été tenue en 2011, alors que 4 réunions doivent être tenue chaque année.
C'est ainsi que l'on définit la qualité. Au nombre de réunion, peu importe que l'on ait réellement fait avancer le schmilblick au cours de ces réunions.
J'ai l'expérience de ce type de pensum. Je m'étais promis de me taire et de rester calme. J'avais même penser prendre un Lexomil* avant la réunion,sans rire. Finalement, je ne l'avais pas fait.
J'aurais du.
L'ambiance étaient tendue.
J'ai senti mes mâchoires se crisper au fur et à mesure que l'administratif prenait l'ascendant, exigeait un traçage des réunions, une refonte des questionnaires, puis insistait lourdement sur la nécessité de faire une évaluation psychologique systématique chez tous les enfants admis dans ce centre d'asthmologie, sous prétexte que les médecins, les infirmiers, les kiné ou les éducateurs ne savaient pas juger si un gamin était en souffrance.
Il a 70 ans ce type, et il est ingénieur nucléaire à la retraite. Et c'est lui qui décide !
J'avais les mains qui tremblaient, je transpirais. J’avais des « bimbaroles » devant les yeux. Littéralement, je voyais rouge.

J'ai craqué lorsqu'on m'a demandé de valider ces conneries. C'est sorti d'un seul coup. Je leur ai dis tout ce que je pensais de ces  démarches « qualité » : que c'était de la foutaise. Que la vraie qualité était un état d'esprit et ne résidait pas dans des paperasses. Que perdre du temps à faire ces réunions, c'était déjà contre productif. Que dans mes précédentes activités j'avais remarqué que les excès du CLIN allaient à l'encontre de la qualité des soins en rendant illégaux donc impossibles des actes médicaux pourtant indispensables, et qu'en plus on sélectionnait les germes avec ces inutiles désinfections des surfaces. Que vouloir envoyer tous les enfants se faire opérer au CHU seul bloc validé en pédiatrie, conduisaient à renoncer à des opérations pourtant fort importantes. Que se référer systématiquement à des procédures et des protocoles, c'était déresponsabiliser les gens, le niveau zéro de la réflexion, et que c'était insultant de penser qu'une procédure allait remplacer les 25 ans d'expérience que j'ai dans la prise en charge des douleurs...
J'ai quand même eu la satisfaction de voir Pascale l'infirmière et Serge, le kiné, me soutenir ouvertement.

Le comble c'est que le rond de cuir m'a répondu que c'était la loi, et que j'allais devoir y passer, que je le veuille ou non. L'argument qui tue. « C'est injuste mais c'est la loi, donc tu vas obéir. »
A chaque fois qu'on m'oppose ce genre d'argument, je pense à la France de 40, et j'imagine les petits fonctionnaires du régime de Vichy :
«  ça n'est peut-être pas très moral de faire des listes de juifs, mais c'est la loi. Je n'ai pas le choix. » 
« Moi , après tout, je les mets juste dans des trains, je fais juste mon boulot, c'est la loi et ce n'est pas à moi de juger la moralité de mes actes »...
Il y en a qui ont été tondus pour moins que ça, monsieur l'ingénieur !

Et puis je suis retourné à mes consultations : Cyprien, 91 ans insuffisant cardiaque rénal et respiratoire, que l'on tient à bout de bras avec les kinés et les infirmières, depuis 3 ans, Margot et son eczéma profus, Ginette, psychotique à peu près équilibrée, Gérard et Antoinette avec leur névralgie d'Arnold (tient, deux dans la même journée !?) et Louise et son cancer du pancréas, qui ne vas pas si mal depuis 1 an et Tim 3 ans et demi, trisomique qui progresse avec l'aide de Gwen la psychomotricienne, Éric, 45 ans, diabétique, hypertendu et affublé d'un psoriasis envahissant, mais toujours positif...

Ce soir, j'essaie de prendre du recul. Qu'est-ce qui m'est si pénible dans ces démarches ?
Suis-je objectif lorsque je réagis violemment comme ça ?

- Est-ce que je fais partie de ces médecins imbus de leur savoir, qui refusent de se remettre en question ?
Sincèrement, je ne crois pas. Je me crois ouvert à la discussion, que ce soit avec le patient, sa famille ou avec les autres soignants. Il m'arrive souvent de remettre en cause mon diagnostic ou mon attitude thérapeutique, après ces discussions, avec le plus possible d'humilité. Enfin, je crois...

- Est-ce que je refuse la qualité ?
Non. Dans mon cabinet, on évolue sans cesse dans notre manière d'accueillir les patients, d'organiser notre travail, toujours en relation avec nos deux secrétaires. On écoute les suggestions des « usagers » du centre médical.
Personnellement, je fais régulièrement l'inventaire du matériel. Je m'occupe de vérifier le DSA et j'ai en charge la surveillance de la table de radiologie et les dosimètres. Je me forme. Je suis maître de stage et mes relations avec les internes sont excellentes. Ils m'apprennent beaucoup de choses et je pense également leur en apprendre.

- Est-ce simplement le fait que l'on m'impose ces démarches d'une manière autoritaire ?
Peut être un peu effectivement. Mais ça m'étonnerait que cela compte tant que ça. En général, si l'on me contraint d'utiliser un outil performant, je finir par m'en saisir. Par exemple, je me suis bien mis à l'informatique un peu « poussé au cul ». Je ne suis pas né avec. Mais j'y trouve des avantages très substantiels, alors je m'en sers. Les démarches certifications/accréditation, sont très différentes. 
 
Finalement, c'est en lisant l'excellent blog de Jean Marie Vailloud Grangeblanche, que j'ai compris ce qui me glace là dedans.
Au bout du compte, le plus important dans ces démarches n'est pas de faire de la qualité, mais de tout « tracer » « formaliser », « normaliser ». Les experts accréditeurs se contrefoutent de la réalisation réelle de ces mesures. Ce qu'ils veulent, c'est que tout soit normalisé, tracé, surveillé.

Je pose une question maintenant :
A quoi cela sers de tout surveiller, normaliser, tracer, si ça ne sers pas vraiment à faire de la qualité ?

Avec mon mauvais fond, je commence à avoir une petite idée. 
 
Et si l'on était simplement dans une lutte de pouvoir entre le pouvoir réel ou supposé du corps médical et le pouvoir hégémonique d'une certaine classe technocratique qui entends tout régenter ?  Une tentative de prise de pouvoir sur le corps médical.
Dans cette optique on comprends mieux les brimades, les critiques infondées qui accablent les médecins depuis des années, ainsi que ces tentatives permanentes de rogner leurs ailes. 


On commence par créer les hôpitaux, puis on enlève tout pouvoir aux médecins hospitaliers. 
 
On crée une convention pour contraindre les libéraux, puis on limite la liberté de prescription, on menace de fermer le secteur deux, on transforme le volontariat de la PdS en contrainte légale, on menace la liberté d'installation, on remet en cause la liberté de choix du médecin par le patient...

Et si le but principal de tout ça était simplement de « casser » le corps médical ?
Et si la certification/accréditation n'était que le dernier avatar de cette entreprise débutée il y a peut être 50 ans ?

Ne confortez pas ma paranoïa. Donnez moi votre avis.

13 commentaires:

  1. Je suis jeune médecin. Je me tiens au courant des futures idées de nos politiques, des bruits de couloirs ministériels et cpam-esques.
    Je pense malheureusement que vous avez raison.
    Actuellement le but inavoué mais visible est de casser les médecins. Mais pourquoi?
    Probablement pour faire glisser tout ce système de santé fragile vers un système assurantiel privé. Les décisions ne seront plus médicales mais prises par des réunions, des décideurs financiers... Ce sera long mais ils y arriveront. Malheureusement.

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  2. Je n'ai pas peur des assurances privées. On peut toujours les opposer, faire jouer une certaine concurrence. Et puis on est toujours libre de ne pas travailler avec une entreprise privée. J'y voit plutôt une certaine "sovietisation" de la santé par un état tentaculaire qui fait tout pour la médecine 2.0 ne s'installe pas (pas plus que le web 2.0... d'ailleurs). Et le jour ou (pour le bien du plus grand nombre, bien sûr, ou pour l'accès aux soins, ou pour la "qualité"...)l'état décidera d'interdire le déconventionnement, alors on sera tout à fait dans un système totalitaire. On y va, doucement mais surement...

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  3. Je plussoie... A l'hôpital tout le monde vit dans la crainte de l'accréditation, les patrons et,les cadres font des courbettes dégueulasses. Plutôt que de se battre avec et pour leurs troupes ils se transforment en administratifs car ils n'ont trouvé que cette solution pour ne pas voir leur pouvoir voler en éclat. Alors plutôt que de se battre pour avoir vraiment les postes d'IDE manquants on dit : "ne vous inquiétez pas monsieur le directeur on va faire des efforts..."

    Nous payons aussi un peu les abus que cela soit en terme de gaspillage ou de compétences limites protégées par le non dit... (cf chirurgie désagrégée dans certains centres de proximité)

    Et enfin la régence économique qui ne comprend pas que le service de la santé apporte un bénéfice a grande échelle a la population. Ainsi la finance et la comptabilité ne nous considèrent d'aucun crédit.

    Sur ce, bonne Journee ;-)

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  4. bonjour,
    Installé depuis 20 ans, je participe aux "instances" depuis toujours : président de la CME, du CLIN, du CLAN, du CLONG, DU KLING et du Copil. J'ai aussi été formé par l'HAS pour l'évaluation des pratiques.
    En fait, la qualité proposée dans les établissements est une qualité au rabais. Ils font du quantitatif parce qu'ils ne donnent pas les moyens nécessaires à faire du qualitatif. Ensuite la culture éducationnelle française est une culture à base de notes : il est très mal vu de se tromper, seul le résultat compte et pas la manière d'y arriver, la progression et l'amélioration ne comptent pas.
    Donc nous sommes jugés sur des indices quantitatifs débiles et non sur ce que nous faisons réellement avec un résultat mesuré sur la qualité.
    Et tout le monde se couche !
    Je me suis aussi fâché lors des dernières "instances" qui préparent la future certification. Mais l'administratif ne PEUT pas comprendre. Il lui FAUT des résultats exigés.
    Donc je vais certainement démissionner mais l'hôpital va se retrouver dans la m… puisqu'il n'y aura plus personne pour participer aux commissions.

    Indignez vous !

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  5. Nous sommes tous d'accord. La qualité promue n'est pas de la vraie qualité.
    Les évaluations sont des évaluations au rabais, sur le nombre de réunion, ou sur le nombre de bidon de savon consommés pour 1000 patients/jours(véridique).
    Mais pourquoi des gens intelligents promeuvent ils une telle merde ?
    Et pourquoi nous couchons nous si facilement ?
    Mon avis, après 10 ans de pratique est qu'il s'agit d'une lutte de pouvoir, une entreprise de laminage du corps médical.
    Quant à nous, on a préféré le déshonneur à la guerre.
    On aura le déshonneur et la guerre. (W. Churchill à propos de la France de Daladier en 1938)

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  6. Je ne me souviens plus où j'ai entendu ou vu cette remarque qui m'a semblé très juste : on est en train de faire avec les médecins ce qu'on a fait avec les profs.
    Pour ce qui est du "pourquoi", AMHA, c'est que tout pouvoir sans contre-pouvoir tend à toujours grignoter plus de pouvoir.
    Or face aux médecins, l'administration joue sur du velours...
    Yannn06

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  7. Je ne pense pas que le but officiel ou officieux soit de casser le corps médical, mais plutôt de le faire plier, et s'il arrive à rester souple, surtout de ne pas le casser.
    Le concept de "corps médical" me fait un peu sourire, tout simplement parce que je ne le trouve pas solidaire dans toutes les situations (il n'y a pas pire que les médecins pour dénigrer d'autres médecins). Donc la bataille rangée technocrates versus soignants, je n'arrive pas trop à y croire.

    Après, je vous rejoins sur le fait que toutes les certifications, évaluations etc sont très lourdes et pas du tout synonymes de qualité (et même certainement à l'opposé de la spontanéité et de la bonne volonté qui doit faire l'empathie et l'envie de soigner).

    On est pas dans Brazil ... mais des fois on se demande quand même :)

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  8. Je suis installé depuis 3 ans, et je me suis vu refilé la place de président de CME de l'hôpital local quelques mois après mon arrivée.
    On a fait la V2010 en fin d'année, non sans difficultés, car le cahier des charges est le même pour un CHU que pour un établissement comme le notre avec 5 médecins qui interviennent, dont 2.5 qui ne participent pas aux réunions et à la rédaction des protocoles, etc...

    C'est assez effrayant de s'entendre dire par les experts visiteurs que ce qui est important, ce n'est pas comment on s'occupe du patient, mais que ce soit tracé. On est dans un système devenu parano, où chaque mot écrit dans un dossier se nuance en fonction de ce qui flattera la prochaine accréditation, ou de ce qui nous évitera le procès en cas de problème. Tout ça me fait perdre du temps auprès de mes patients.

    On a eu la chance d'avoir une qualiticienne qui a su nous accompagner pour faire ressortir les points positifs de notre pratique. Mais on sait aussi que rentrer dans les critères de la HAS sera la condition sine qua non de nos financements dans quelques années. Tu es un bon élève, on te donne des sous, tu ne suis pas la règle, pas de sous, moins de soignants, moins de possibilité de soigner correctement.

    Même en restant optimiste, on a parfois l'impression de se tirer une balle dans le pied en acceptant ça.

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  9. @thoracotomie
    C'est une question de mots. (ou de maux) Lorsque je dis casser, j'entends : faire plier, soumettre, comme on "casse" un chien dans le jargon des dresseurs. Bien sûr qu'ils le veulent pas détruire le corps médical. Ils veulent "juste" l'asservir. Nous sommes donc d'accord.
    Je suis également d'accord avec le fait que le corps médical n'est pas assez solidaire. Dommage.
    et malheureusement il n'y a effectivement pas de bataille rangée, puisque nous nous couchons comme des moutons.
    @docteursachs.
    Tu as tout compris. Tu te soumets tu survis, quitte à fournir des soins de piètre qualité. Tu ne te soumets pas , tu peux crever !
    Cela a été rendu possible par notre passivité et par la situation de monopole de l'assurance maladie.
    Comment lutter ?
    A mon avis en ayant des syndicats forts qui n'hésite pas à sortir l'arme du déconventionnement !
    Par ailleurs, en un sens, le refus d'installation en libéral de beaucoup de jeune, est une forme de résistance.

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  10. Le problème se pose également en médecine vétérinaire, en biologie médicale: l'accumulation de procédures, de contraintes rend de plus en plus difficile l'exercice individuel, le regroupement de professionnels s'impose (!) pour arriver à une "taille critique". Donc pour exercer, il faudra être sociétaire/actionnaire de la structure, et les contraintes seront telles qu'un jeune n'aura pas les moyens d'acheter une part, et un ancien aura peur de ne pouvoir revendre la sienne en partant à la retraite. Mais, mais, mais? Voilà la solution: l'ouverture du capital aux non médecins/vétérinaires/pharmaciens/professionnels. Et les sociétés d'assurance ou pharmaceutiques seront actionnaires à 49,9% dans un premier temps, le reste étant réparti en x diplômés. On voit bien quelle sera la liberté de prescription du membre de la chaîne de soins Sanofisanté TM ou Pfizervéto TM ou Unibiologie TM, et comment sera traité le praticien de AXAssurmédecine dont le coût des actes prescrits dépasse la moyenne. Se soumettre ou quitter la structure... Plus personne à même de remettre en cause une procédure car plus personne ne sera multipraticien... Les biologistes remplacés par des infirmières, les prescripteurs par des programmes-experts pilotés par des téléPhD à Bengalore payés un bol de riz par jour.
    Wow, on va aimer le futur :(

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  11. Bonsoir!
    Et si on parlait de l'humain, de la communication d'être à être....
    L'éducation, la sncf, la poste, les impôts...croulent sous l'administratif , tout comme vous...
    Courage , il y a de petites âmes qui luttent pour vous.
    Ambre.

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  12. Tout à fait d'accord avec ces commentaires;l'Etat met la main sur nous par l'intermédiaire de la CPAM, je suis installée(MG depuis 26ans1/2), et je disais que c'était un rouleau compresseur qui passait peu après mon installation, je ne me suis pas trompée pourtant moi aussi j'ai piqué des colères et j'ai souvent pensé que j'étais peut-être parano;je suis maitre de stage,un souffle d'air frais,mais nos jeunes devront résister!

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  13. Le problème, c'est une idéologie, l'idéologie gestionnaire.

    Qui a, hélas, pour l'instant, le soutien des politiques (qui n'ont pas mesuré, ou compris, les effets pervers. Bon, tout dans cette idéologie n'est peut-être pas à jeter, non plus).

    L'analyse du problème par un sociologue:
    http://www.cairn.info/revue-empan-2006-1-page-30.htm

    Une heure de conférence par le même:
    http://www.youtube.com/watch?v=kC35dKultTI

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