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dimanche 15 mai 2011

"Négociations conventionnelles", mon c...

Mon grand père était médecin, dans une ville moyenne du sud ouest de la France.
Il s'était installé en 1938 dans une petite ville du centre puis avait été mobilisé sur la ligne Maginot. Sa femme, ma grand mère avait fuit les bombardements et lorsqu'il avait été démobilisé, la ville avait été rasée de fond en comble par les bombes. Dans les décombres de leur maison, il avait retrouvé une unique tasse à café intacte, dernier vestige de leur vie d'avant.
Ils s'étaient donc retrouvés en 1940 avec 3 enfants, à camper chez la grand mère.
Qu'a cela ne tienne. Il avait retroussé ses manches, recréé un cabinet, refidélisée une clientèle, racheté une maison et élevé ses 8 enfants (5 autres étaient arrivés après 1940).

Au début , la sécurité sociale n'existait pas. Beaucoup de patients avaient des assurances santé. Il vendait ses soins à ceux qui pouvaient les payer, ou était payé en jambon ou en poulet.
Il soignait gratuitement les autres.
Il remplissait soigneusement des petits carnets où il notait les visites et les consultations effectuées et envoyait une note globale à la fin de l'année, puis notait le paiement sur le carnet. Bien souvent, il « oubliait » d'envoyer cette facture aux familles les plus pauvres. Après sa mort nous avons retrouvé des dizaines de carnets annotés. Il y avait des centaines de factures impayées (probablement non envoyées).
Malgré cela, il réussit à faire vivre sa famille nombreuse, à acheter une maison en plein centre ville, puis à payer les études de ses enfants.
Bien sûr il n'est pas devenu riche, n'a jamais eu de yacht, ni de maison secondaire, mais il a vécu correctement et a même fait quelques voyages à la fin de sa vie.

La sécurité sociale est apparue après guerre. Au début elle ne concernait pas tout le monde, et puis elle s'est généralisée. Il est de bon ton, aujourd'hui, de dire que cela a favorisé l'accès aux soins et à cette époque c'était sans doute vrai, dans une France de l'après guerre, exsangue.
Elle avait été constituée de la réunion et de la quasi-nationalisation des compagnies de secours mutuels qui étaient les assurances santé de l'époque.
Les choses ont évolué ainsi pendant une bonne vingtaine d'année : Le médecin fixait ses honoraires. La sécurité sociale remboursait. Le territoire était de mieux en mieux couvert. Il n'y avait pas vraiment de pénurie médicale et je n'ai pas connaissance de graves difficultés pour se faire soigner.

Dans les années 60, des conventions départementales virent le jour entre les médecins et les CPAM locales.
En 1971, les choses ont encore évolué avec l'arrivée de la convention médicale nationale. On aurait pu l'appeler «le contrat médical» ou l' « accord médical », ou encore le pacte, l'engagement réciproque, l'entente, le marché, le traité....
On a choisi « la convention » un terme qui rappelle le régime politique qui a dirigé la France de 1792 à 1795, avec les comités de salut public et la terreur.

Dans les années 70, il m'est arrivé, enfant, d'accompagner mon grand père en visite. Je restais dans la voiture ou je l'accompagnait dans certains foyers et restait à la cuisine avec la mère de famille pendant qu'il s'enfermait dans la chambre avec le malade. J'ai souvenir d'une femme avec un énorme goitre, d'ulcères de jambe et autres pathologies impressionnantes pour un enfant de 10 ou 12 ans.
Il y avait assurément grand respect mutuel entre ses patients et lui. Une relation qu'en tant que médecin de campagne, je ne retrouve que rarement à l'heure actuelle où je ne suis, après tout et quoi qu'on en dise qu'un prestataire de service que l'on va essayer d' « utiliser » au maximum.
Je n'en tire aucune amertume, mais force est de constater le changement.

La convention stipulait le respect par le médecin, d'honoraires fixés théoriquement d'un commun accord entre les syndicats médicaux et la Caisse Nationale d'Assurance Maladie.
En cas de non conventionnement, les patients étaient remboursés sur la base du tarif d'autorité, équivalent au tarif conventionnel.
En échange de ce renoncement à leur liberté tarifaire, les médecins étaient « invités » à s'assurer à leur CPAM départementale qui s'engageait à prendre à sa charge une partie de leur cotisation de santé et une partie de leurs cotisations de retraite (à titre d' « honoraires différés »), le fameux ASV (avantage Supplémentaire Vieillesse) géré par … ...le gouvernement.
Les syndicats médicaux, renforcés dans leur pouvoir, poussèrent les médecins à se conventionner, ce qui les rendait plus puissants.
Les gouvernements successifs incitèrent les médecins à accepter la convention, en décidant de conditions avantageuses pour l'ASV, conditions qui furent encore améliorées quelques années plus tard quand on poussa à la retraite les dizaines de milliers de praticiens soi-disant surnuméraires, il y a seulement 10 à 15 ans.
Au début des années 70, il y avait donc des médecins conventionnés, dont les soins étaient remboursés par l'assurance maladie et dont une partie des cotisations sociales étaient prise en charge par la sécurité sociale, et des médecins non conventionnés aux honoraires libres, dont les soins étaient remboursés par la sécu au même tarifs que les autres, mais dont les cotisations sociales n'étaient pas prises en charge par l'assurance maladie.

Mon grand père, comme la plupart des médecins, accepta le conventionnement.
Je l'ai bien entendu dire que cette sujétion aux caisses et aux gouvernements n'augurait rien de bon pour la suite, mais en cette fin d'années 70 début d'années 80, l'adolescent que j'étais, ainsi que mes proches sympathisaient pour la gauche et sur le coup je ne compris pas ses réticences.

Le piège était constitué. Il consistait à interposer la sécurité sociale entre les médecins et la population.
L’appât, c'était la solvabilisation des patients par la sécurité sociale et les « avantages sociaux » concédés aux médecins.
Il ne restait qu'à fermer la porte de la cage en rendant quasi impossible l'exercice hors convention.
Ce fut fait en ne revalorisant jamais le tarif d'autorité. Par la grâce des chocs pétroliers des années 70 et de l'inflation qui s’ensuivit, le tarif conventionnel s'envola. Le tarif d'autorité lui resta bloqué à 2,50 FF soit moins de 0,5 €.
Les médecins non conventionnés rejoignirent la convention, par la force des choses. La seule assurance maladie qui restait, et qui avait tous pouvoirs pour prélever autoritairement ses cotisations directement sur les revenus des salariés ne remboursait plus leurs soins s'ils refusaient de se soumettre.
Il y eu bien un accident de parcours sur la « route de la servitude » qu'empruntèrent les médecins, avec l'ouverture du secteur 2 en 1980, parenthèse bien vite refermée en 1990 avec sa fermeture pure et simple aux généralistes. Mesure totalement injuste pour les nouveaux arrivants.

En 1982, mon grand-père fit une chute dans la rue en faisant ses visites à domicile, et se cassa le sternum. C'est ainsi qu'on découvrit son myélome.
La même année, je passais le bac. Lorsque j'annonçais à mes voisins que j'avais choisi de faire médecine et que je voulais être généraliste, tout le monde s'enthousiasma : Avec le nouveau pouvoir socialiste, « on allait voir c'qu'on allait voir » : Le généraliste allait être le pivot du système de soin, placé au centre de tout, il était amené à de hautes responsabilités et allait enfin être reconnu.

Mon grand-père mourut en 1984, non sans avoir eu le temps de me faire part de son inquiétude sur l'évolution du système. J'étais en 3ème année de médecine et, une fois de plus, je ne compris pas.
La suite, vous la connaissez. Le renforcement du numérus clausus, le plan Juppé et ses punitions collectives, le blocage des honoraires, l'obligation conventionnelle de télétransmission, la formation médicale continue, d'abord obligatoire puis conventionnelle (c'est à la sécu de décider du contenu de nos formations),
30 ans plus tard, les honoraires d'un médecin français sont parmi les plus bas de l'OCDE, son temps de travail est d'environ 50 à 60 h par semaine suivant les spécialités, l'exercice libéral ou l'exercice salarié. De nouvelles contraintes apparaissent tous les jours.
Tout le monde appelle de ses vœux des paiements forfaitaires, mais quand je vois avec quelle désinvolture on oublie de me verser le forfait des astreintes nuit et WE ou le forfait « médecin traitant » je m'inquiète énormément de savoir que dans quelques années ce genre de paiement représentera peut-être 30 à 50 % de mes revenus.
Moins de 8% des jeunes médecins choisissent encore la médecine libérale, et aucune autre forme de médecine de premier recours n'a été développée.
Les hôpitaux et les cliniques sont exsangues.
De multiples administration pléthoriques se développent sur le terreau de la santé : les ARS, l'HAS , l'AFSSAPS, les différents régimes de sécurité sociale, les UGECAM etc, etc.. dont l'efficacité est plus que douteuse quand elle n'est pas clairement contre productive.
Si encore cela permettait d'assurer à la population une offre de soins correcte et équitablement répartie, on pourrait décemment se dire que cela valait le coup, mais la qualité du système de santé s'effondre.
Nous payons de plus en plus cher pour avoir de moins en moins.
La France est un pays en voie de sous développement médical.

C'est dans ce contexte que s'ouvre de nouvelles négociations conventionnelles.
En résumé :
- nos syndicats ont un seul interlocuteur, la CNAM. Celle ci, contrairement à ce que stipule les lois européennes, a le monopole de l'assurance maladie en France et tous pouvoirs pour prélever de force ses « cotisations » sur les revenus des gens.
- En cas d'absence d'accord entre les syndicats et la CNAM, l'accord s'applique quand même : c'est le règlement arbitral ! Imagine t-on un contrat de travail en CDD qui stipule qu'à la fin du contrat le salarié est obligé de continuer quand même à travailler pour cet employeur ?
- Si le médecin refuse le conventionnement, ses soins ne sont tout simplement plus remboursés alors que ses patients sont autoritairement prélevés de cotisations d'assurance maladie.

Négocier dans ces conditions, revient à négocier un pistolet sur la tempe !
Rien de bon ne sortira de ces pseudo négociations qui ne sont qu'un simulacre de démocratie !
Comment s'étonner alors que nos syndicats (qui ont accepté ces conditions) refusent la présence des jeunes ou l'enregistrement des séances de négociations.

Le plus étonnant dans toute cette histoire est qu'il y a encore des gens pour croire que l'on peut en attendre du bon.
Or si l'on examine le marché conventionnel :
- Même avec une importante « ristourne » de la sécu, nous payons (pour les praticiens en secteur 1) en assurance maladie, CSG et CRDS, beaucoup plus que ce que nous demanderait une assurance privée pour des prestations bien supérieures.
- Quant à l'ASV, il sera en faillite dès 2012. Nous n'échapperont pas à de nouvelles augmentations de cotisation et à une baisse de la pension. Autant faire de la capitation !
En conclusion, depuis des décennies, tout cela n'est qu'un marché de dupes. Les avantages conventionnels se sont avérés valoir moins qu'un plat de lentille.

Mon avis (et je le partage avec moi même;-) ) est que notre avenir, et l'avenir entier du système de soin français ne repose pas sur ces pseudo négociations qui ne sont que des tractations de bas étage entre mafieux de divers bords.
La seule chose qui permettrait aux médecins de retrouver leur dignité et une certaine confiance dans l'avenir, serait de rétablir l'équilibre des forces dans les négociations avec les autorités de tutelle, et la seule manière d'arriver à cela serait de se déconventionner en masse.
Alors, les patients eux même feraient pression sur la sécurité sociale pour obtenir les remboursements auxquels leurs prélèvements sociaux leurs donnent droit.
Les médecins pourraient alors revenir à la table des négociations avec le respect d'eux même et le respect de leurs interlocuteurs.
Aujourd'hui ce n'est pas le cas !

7 commentaires:

  1. Nous sommes une profession extrêmement individualiste, estrêmement hétérogène avec des individus aux interets parfois contradictoires. Votre raisonnement est juste sur le moyen mais manquent les éléments fédérateurs qui pourraîent faire basculer une forte minorité active à défaut de la majorité.
    Diviser pour mieux régner...
    NP

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  2. Bonjour.
    Nous sommes effectivement très individualistes et hétérogènes, mais pas totalement idiots.
    Nous sommes également perpétuellement culpabilisés et manipulés, en plein syndrome de Stockholm...
    Mais parfois il suffit d'un évènement anodin pour mettre le feu aux poudres. Par exemple, le suicide par le feu d'un commerçant tunisien peut déclencher des révolutions dans plusieurs pays arabes.
    D'ailleurs, quel choix avons nous ?
    Accepter cette mascarade et poursuivre l'enterrement de la médecine libérale ou ... réfléchir et dire stop !

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  3. Ce qui est un peu ironique c'est que si les gens sont individualistes ils restent attachés à la Sécurité sociale. C'est de l'individualisme socialiste en fait. On est individualiste quand ça nous arrange en France. Je trouve ce système moralement dégoûtant. Tout le monde vis aux dépens de tout le monde et le système est à l'agonie.

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  4. "L'état, cette grande illusion à travers laquelle tout le monde cherche à vivre aux dépens de tout le monde !" Frédéric Bastiat
    Vous avez malheureusement raison, et vous remarquerez que je parle de dignité et de liberté, mais pas de revenus.
    La crise de la médecine libérale est finalement peut-être avant tout une crise morale.

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  5. En île de France les dépassements d'honoraires sont très nombreux, les médecins non conventionnés moins mais malheureusement j'en vois un et je lui demanderai pourquoi il n'est pas conventionné d'ailleurs pour comprendre ses raisons car c'est intéressant.
    Côté patient eh bien c'est risible car il me donne quand même une feuille de soins et sur 70 euros la sécu me rembourse 43 CENTIMES car il tiennent compte de 61 CENTIMES sur les 70 euros...
    De là à ce que les patients se retournent contre leur CPAM pour exiger un remboursement plus conséquent je voudrais bien mais je ne vois pas comment ! Là j'en suis juste à me demander si j'envoie la dernière feuille de soins (58 et bientôt 60 centimes de timbre...), c'est dingue. J'attends avec impatience les raisons du non conventionnement de ce médecin et vais devoir sérieusement espacer les visites pour cause de non gain au loto...

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  6. A mon avis, vous êtes victime d'un déni de droit.
    Si l'on considère que la sécu a le droit de ne pas rembourser tel ou tel médecin, alors, la justice serait que vous puissiez changer de compagnie d'assurance en faveur d'une compagnie remboursant les soins de ce médecin. Or vous ne le pouvez pas en France, en dépit des lois européennes qui organisent cette concurrence.
    A l'heure actuelle, en France, le carcan administratif qui enserre la médecine dite libérale est tel qu'il faut s'attendre à ce que de plus en plus de médecins sortent du système. Quel sera alors la légitimité d'une institution qui prélève de force sur vos revenus, des cotisations sociales énormes et ne rembourse plus les médecins que vous consultez ?

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  7. Tout à fait d'accord avec vous pour un déconventionnement (mais massif et général!) de ce système conventionnel, ne serait-ce que pour le faire exploser,
    car il est injuste et discriminatoire envers les médecins surtout ceux de secteur 1 (qui sont privés, pour le même boulot, de liberté tarifaire avec une valeur du C qui ne suit pas l'augmentation du coût de la vie),
    car il est malhonnête et sournois (après une bascule d'une partie des cotisations socioales vers la CSG-RDS, il spoliera bientôt d'une bonne partie de leur retraite ces mêmes médecins secteur 1 en échange de leur engagement crédule),
    car il est méprisant et suspicieux envers les pratiques médicales et fait abstraction de leur dimension humaine et sociale,
    car il est surpuissant et dictatorial et nous impose des tâches administratives dont certaines lui incombe (comme le remboursement des actes par le biais de la télétransmission)et nous prive peu à peu de notre liberté de precription et de notre devoir de prise en charge optimale et responsable vis-à-vis du patient tout en continuant à nous rendre responsable de fautes éventuelles...

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