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samedi 30 juillet 2011

Back to black (?)

Un dernier bain dans le lagon, à admirer les poissons et les coraux, une dernière balade sur la plage de sable noir, un dernier tour au marché de Papeete pour ramener des souvenirs aux proches, une dernière soirée d'anniversaire en famille, à refaire le monde une Hinano à la main, puis l'aéroport, les colliers de coquillages, les effusions, les larmes. Au revoir tous le monde et à dans... ... 7 ans ?
Voilà, ça y est. Les vacances sont finies.
Nous avons atterri il y a 5 jours et sommes toujours en train d'effacer les 12 h de décalage horaire.
C'était des vacances extraordinaires à divers titres.
D'abord parce que c'était la première fois en 25 ans que je prenais 4 semaines de vacances à la suite.
Ensuite parce que cela faisait 7 ans que nous n'avions vu la famille que par Skype. C'était donc extraordinaire de rencontrer pour la première fois les derniers nés. A ce rythme nous ne les reverrons qu'à l'adolescence.
Enfin, parce que ce séjour à été consacré beaucoup plus à la famille qu'au tourisme. Nous avons donc été au contact des vrais polynésiens, de leur difficultés, de leurs espoirs. Et dans les frères et sœurs, cousins, cousines, ami(es), on trouve un bon échantillonnage de la populations des archipels : Des chefs d'entreprise qui vivent à Papeete et des pêcheurs qui sillonnent les atolls des Tuamotus, des agriculteurs aux Marquises, des perliculteurs, des capitaines de Goélette, des fonctionnaires de différentes administrations, des hôtesses de l'air, des cultivateurs de vanille, des employés du privés, des travailleurs indépendants et même un cousin Rae Rae (travesti) qui sers dans un restaurant.

Au delà du plaisir de retrouver tout ce petit monde, l'impression que nous avons eu de Tahiti est pour le moins mitigée.
La population se précarise et se paupérise.
La violence monte, même si l'on est encore loin des niveaux atteints en ce moment en Nouvelle Calédonie.
Les gens semblent ne plus y croire. Le rejet de la classe politique est total.
Au cours de notre séjour, nous avons assisté à diverses crises dans la vie politique et économique du Fenua (pays).
  • Grève des pilotes à Air Tahiti Nui. Une grève de nantis dans une compagnie aérienne semi publique qui réussit à être lourdement déficitaire malgré ses tarifs prohibitifs et une concurrence (AOM Corsair ...) soigneusement éliminée par les décisions des responsables politiques de divers bords depuis 15 ans. Où part l'argent ?
  • Psychodrame du plan de sauvegarde de la Polynésie. Actuellement, la métropole tente de forcer la Polynésie à diminuer son train de vie. On essaie donc de faire des économies. Très difficile, dans un TOM que l'on a largement arrosé pendant des années, (ne serait-ce qu'en raison des expérimentations nucléaires) et où le pouvoir s'est toujours maintenu par le clientélisme ! On baisse donc le salaire de certains fonctionnaires de 15 % tandis que tout une classe de dirigeants corrompus continue de se servir largement.
  • Grève des médecins dans certains hôpitaux secondaires. Plutôt que de licencier des administratifs, les responsables sanitaires préfèrent fermer des dispensaires et des services, et licencier des médecins, pendant que le nouvel hôpital de Polynésie Française, flambant neuf, exagérément sur dimensionné et construit en dépit des avis défavorables de la métropole, fonctionne au ralenti en absorbant une part croissante du budget santé.
  • Démission du directeur général de la santé, le jour de notre départ. Nommé il y a un an, à la suite de la démission de son prédécesseur, il démissionne en raison de son age avancé, dit-il. 62 ans ! Tout le monde se doute que son départ n'est pas sans rapport avec la situation critiques des comptes de la santé. Pendant ce temps, la crise larvée qui oppose les médecins aux administrations, continue.
On pourrait malheureusement poursuivre cette liste de nouvelles alarmantes.
Pendant ce temps les gens que nous avons rencontrés souhaitent pour la plupart que leurs enfants rentrent dans la fonction publique qui leur semble plus que jamais, un refuge avec ses salaires parfois encore mirobolants et surtout la garantie de l'emploi. Par ailleurs, la plus petite commune s'offre des dizaines d'employés communaux. Les multiples administrations nourrissent des centaines de fonctionnaires.
Certains tahitiens, notamment les chefs d'entreprise font quand même le constat que l'avenir est sombre. La classe politique autrefois majoritairement corrompue mais globalement à même de favoriser la croissance de l'économie locale, apparaît maintenant pratiquement aussi corrompue mais totalement incompétente.
Les texte de loi votés récemment handicapent les entreprises. La croissance ininterrompue des tarifs des principales compagnies aériennes qui desservent la Polynésie est un fardeau insupportable pour l'industrie du tourisme qui sombre doucement.
Des lois empêchent maintenant que des non-polynésiens détiennent plus de 33 % du capital des entreprises, avec pour corollaire un désintérêt immédiat des investisseurs étrangers pour le territoire.
Se sachant à la merci de décisions ineptes, l'un des chefs d'entreprise que nous avons rencontré avoue avoir gelé tous ses investissements en Polynésie et envisagé la délocalisation dans un autre pays du pacifique.
Un autre fulmine contre les subventions idiotes accordées par le territoire à certains on ne sait trop pourquoi, et qui distordent la concurrence, toujours au profit des mêmes.
L'instabilité politique qui s'est installée depuis quelques années est extrêmement délétère.

En ce qui concerne la médecine libérale, les tarifs conventionnels sont avantageux :
C : 3600 XFP soit 30 euro
C ALD (pour patient avec ALD) : 2 C : 7200 XFP soit 60 euros …
Les médecins sont exonérés de CARMF ce qui est un énorme avantage, et l'impôt sur le revenu n'existe pas (encore) en Polynésie bien que certains rêvent d'en créer un.
Malgré cela la démographie médicale est en danger également, notamment dès lors que l'on s'éloigne de Papeete.
Sur la commune dont mon épouse est originaire, à Tahiti, il y a 1 médecin pour 8000 habitants et 25 km de cote. Il est évidemment débordé.
Après quelques jours de vacances, je me suis surpris à envisager une installation dans cette commune, pour quelques années. Je suis allé voir le pharmacien qui m'a assuré qu'il y avait de la place pour un autre praticien. Reste le problème du conventionnement, qui est normalement conditionné au départ d'un autre médecin libéral, mais à l'heure actuelle, il est assez difficile de trouver un successeur. « D'ailleurs, » m'a-t-il affirmé, « si ta femme est d'ici, tu auras un conventionnement. C'est politique. Ils favorisent les locaux !  Et puis même si tu n'obtiens pas de conventionnement, tu peux t'installer non conventionné. Il y a tellement de besoins que les gens viendront quand même...».
Cela m'a parut plutôt optimiste, notamment en raison de la relative pauvreté des habitants, mais, après tout, pourquoi pas. Il y a du travail à la pelle dans cette région du monde ou 20 % (!) de la population est diabétique de type 2 et où 1 homme sur 3 et 1 femme sur 2 sont obèses (Vahiné ? c'est gonflé !). Rien que dans les cousins germains de mon épouse, une femme de 40 ans est amputée d'une jambe, une autre est dialysée, un homme est quasi aveugle, à cause du diabète.
Le hic c'est qu'il n'y a plus d'argent dans les caisses. La France ne paie plus comme avant. Il faut économiser !
La CPS (équivalent local de la CNAM) vient d'augmenter de 15 % à 16,08 % le taux de cotisation de l'assurance maladie, et de diminuer le taux de remboursement des patients (de 80 % à 70 %). Pour les patients en ALD, il passe de 100 % à 95 % et ce n'est qu'un début. 
Les médicaments ne sont plus remboursés que sur la base du générique, et le plan de redressement prévoit des baisses de lettre-clé pour les professionnels de santé... 
 Pas de quoi inspirer la confiance. L'instabilité ambiante me retient de franchir le pas. Comment avoir confiance si les règles du jeu changent perpétuellement.
Et, en dépit de conditions financières encore avantageuses, il commence à devenir difficile pour un médecin libéral de Polynésie française, de trouver un successeur.
Finalement, même en France, c'est peut-être cette incertitude quant à l'avenir, ce sentiment de ne pas maitriser son destin, qui pousse les jeunes médecins à ne pas s'installer en ce moment.

Dans la nuit de samedi à Dimanche, nous avons donc regagné notre maison et nos montagnes, par 9°C. Après avoir déchargé les valises et allumé le poêle, j'ai fait le tour du jardin, à la fraiche et à la lampe de poche (sous les quolibets de ma femme). J'ai palpé mes salades, examiné mes arbres fruitiers et j'ai respiré les odeurs de la nuit de métropole, du chèvrefeuille, du sorbier et des aiguilles de pin. 
Tout cela m'a manqué pendant un mois.
Ce n'est pas demain que je vais partir sous les tropiques.
Un jour, peut-être...


4 commentaires:

  1. Bref, une Polynésie décidément bien française ! :/

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  2. Ouaip ! Une caricature de tout ce qui se fait de pire en métropole !
    J'y étais allé en 2000 et 2004. Je n'avais pas eu ce sentiment. tout se passe comme s'il y avait une espèce d'accélération du temps, comme si la polynésie avait rattrapé la France (et même dépassé la France) à toute vitesse, dans tout ce qu'elle de moins bon !

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  3. j'ai des cousins là bas mais ce sont eux qui reviennent en métropole ma cousine nouvellement arrivée là bas (8 mois) décrit un paradis la seule (grosse)ombre au tableau est d'avoir laissé ses parents âgés en métropole et le prix du billet d'avion est monstrueux.
    bien sûr il fait froid ici mais en vous lisant je me dis que nous avons beaucoup de chance...

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  4. Ne nous méprenons pas. Il fait encore bon vivre en Polynésie, et je comprends très bien que des métropolitains nouvellement arrivés soient sous le charme. Néanmoins, de gros nuages noirs s'amoncellent sur la Polynésie, comme sur la France et l'Europe, d'ailleurs.
    L'avenir est très incertain là bas également. Il faudrait être aveugle pour ne pas s'en apercevoir.
    Pas sûr que la misère soit moins pénible au soleil...
    amicalement.

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