Jérémie n'a pas de chance:
A 7 ans tout juste, il vient de se faire opérer des amygdales et maintenant, c'est un espèce de gros bouton qui est apparu sur son épaule droite.
Au début ça avait l'air d'une petite chéloïde, mais les chéloïdes spontanées sont très rares, alors on a demandé un avis dermatologique. Et le dermatologue a parlé d'angiome.
A priori, rien de grave, mais l'angiome a rapidement grossi et on a décidé de l'enlever, car c'est maintenant un gros kumquat que Jérémie a sur l'épaule, et qui saigne au contact.
Alors, on a commencé le tour des consultations spécialisées. Un premier voyage à la ville (100 km) pour voir le chirurgien. Un deuxième pour voir l'anesthésiste. Un troisième pour … rien (consultation annulée, non signalée par le secrétariat. Normal, c'est l’hôpital), puis une hospitalisation de 2 jours pour une petite opération, malgré tout sous anesthésie générale.
C'est une petite semaine après cette opération que Jérémie revient au cabinet avec sa maman.
Lui qui est d'ordinaire si souriant, est prostré. De toute évidence, il souffre de son épaule.
Sa maman le ramène car elle trouve que le pansement ne sent pas bon.
Elle a raison !
Avec Antoine, notre interne, nous enlevons les compresses, et c'est un flot de pus qui s'écoule de la plaie, tandis qu'une forte puanteur envahit le cabinet.
Je crois reconnaître l'odeur d'une vieille connaissance et fronce les sourcils :
- « Ça pourrait bien être du Pyocyanique ! »
(Le Pyocyanique, ou Pseudomonas Aéruginosa est un microbe, proliférant volontiers à l'hôpital, fréquemment résistant aux antibiotiques et assez facilement reconnaissable à son odeur particulière de … Seringa. Les jardiniers apprécieront)
Antoine reste un peut interdit :
- « Je ne savais pas que l'on pouvait reconnaître les germes à leur odeur... »
Comme je ne peux jamais rester sérieux plus de trois minutes à la suite, et qu'une petite blagounette pourrait bien détendre l'atmosphère, j’enchaîne :
- « bien sûr que si mon p'tit gars ! J'te parie une plaquette de crunch que c'est du Pyo ! » et hop, un clin d’œil à Jérémie.
Après tout, c'est vrai. Si l'on peut en plaisanter, c'est que l'affaire n'est pas si grave. La maman se détend un chouïa. Même Jérémie souris derrière son masque de douleur.
Antoine hésite. Je le choque encore un peu quand je pars en live comme ça. C'est drôle.
- « Pari tenu ! Je vote pour un staphylocoque ! »
On passe un coup de fil au chirurgien. Exceptionnellement on arrive à le joindre en moins d'un quart d'heure.
- »Ah oui, c'est infecté ? Vous croyez vraiment ? »
- « euh... OUI !! je suis sûr ! Vous n'avez pas de problème particulier d'hygiène dans le service en ce moment ? »
- « Non... »
Même au téléphone, on peut voir son air pincé. J'ai quand même le droit de poser la question, non ?
Prélèvement bactériologiques. Désinfection locale. Irrigation de la plaie à la Bétadine. Prescription d'antibiotiques et d'antalgiques : Paracétamol et Codenfan pour faire bonne mesure. Et on se revoit dans deux jours.
Deux jours plus tard, on réexamine Jérémie. Il ne souffre plus. Le joli surjet intradermique a sauté. La plaie est propre, mais et elle est béante. La rougeur péri-lésionnelle a nettement régressé.
En résumé, l'infection régresse. Visiblement l'antibiotique et les soins locaux font leur effet.
Le lendemain, les résultats de bactério tombent : C'est un staphylocoque ! Enfer et fistule anale ! J'ai perdu mon pari ! Je me suis trompé !
J'aurai du m'en douter. Je suis nul en odeur. Non pas que je souffre d'anosmie, mais tout se passe comme si je ne disposait pas du « lexique osmique ». Il m'arrive, en visite à domicile, d'entrer dans une maison en disant :
- « Ben non docteur. C'est du pot-au-feu ! »
Il faudra que je pense à faire un dossier à la MDPH. Une dysosmie comme ça, ça doit bien rapporter une pension adulte handicapé, non. Ou au moins un macaron qui permet de se garer n'importe-où...
Bref, je m'acquitte prestement de mes dettes : un plaquette de chocolat au riz croustillant pour Antoine.
On revoit Jérémie quelques jours plus tard, une dernière fois, afin de surveiller l'évolution de sa plaie. La cicatrice ne sera probablement pas très esthétique, mais l'infection est définitivement jugulée. Jérémie semble hésiter, puis il se lance et nous demande qui a gagné le pari. Je lui réponds honnêtement que c'est Antoine. Puis, pour rendre service, je lui conseille de se faire tatouer une grosse tête de mort sur l'épaule, pour cacher la cicatrice. (Clin d’œil!)
Il sourit et réponds qu'il fera plutôt une tête de léopard !
A peine sont-ils sortis du cabinet que j'ai l'impression d'avoir oublié quelque-chose d' important. Il me faudra, en fait plusieurs jours, pour que l'évidence m'apparaisse subitement au cours d'une insomnie.
Bon sang, mais c'est bien sûr...
Quinze jours plus tard, je revois Jérémie. Il accompagne sa petite sœur qui a un rash (une éruption cutanée probablement virale).
Comme d'habitude, il s'assoit sagement, en grand frère de 7 ans, raisonnable, observant calmement son environnement. Mais je le trouve un peu tristounet, lui qui est d'ordinaire plutôt gai.
J'examine la petite sœur. Rien de bien grave. Les conseils d'usage sont donné.
Alors que la consultation se termine, je reste assis et prends mon air le plus grave. (celui que je ne sors pas souvent et juste pour dire « monsieur, il va falloir être courageux... »)
- « Jérémie, une grave injustice a été commise envers toi. » Il me regarde un peu interloqué, mais je poursuit, imperturbable « Du crunch a été gagné grâce à toi et tu n'en as pas profité ! C'est inique ! Tu sais que je suis comme Robin des bois ou comme Spiderman ? »
Il acquiesce. Ça fait plaisir. La maman pouffe sur sa chaise. C'est un peu vexant, mais passons.
- « J'ai décidé de réparer l'injustice. Tiens. Voilà une plaquette de Crunch, pour toi »
Alors là, il a eut un sourire jusqu'aux oreilles, puis il a même rigolé en attrapant le chocolat.
J'ai sentis que symboliquement on venait de clôturer une mauvaise passe. C'était important.
Depuis ce jour, il me semble, très subjectivement, que Jérémie a retrouvé son sourire et ses yeux pétillants.
Quant à moi, je suis reparti vers de nouvelles aventures, tel un petit Don Quichotte à stéthoscope...
ridicule, sans doute... mais je me suis bien marré !
super cette histoire
RépondreSupprimerj'aurais parié sur un pyo moi aussi mm si les odeurs ne passent pas l'écran
j'aime l'air pincé du chir au téléphone
superbe histoire, bien vu le coup de la tablette pour le gamin.
RépondreSupprimeranne